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Pourquoi j'irai voter, moi la "banane"


kobico

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Après avoir animé, en français, le nouvel an khmer, je me rendrai au bureau de vote. Cela reviendra à dire « merci, maman et papa, d’avoir émigré ici ».

5 avril 2014 | Kanica Saphan - Brossard | Québec

Le Nouvel An khmer a lieu durant la même période que les élections. Chaque année, début avril, la communauté cambodgienne se réunit, dans un restaurant, pour manger un repas de 10 services, participer au karaoké et péter le feu sur la piste de danse durant les danses en ligne. C’est toujours durant ces chansons de danse en ligne que je réalise quelle banane je suis : jaune à l’extérieur, mais blanche à l’intérieur. Je ne parle pas la langue, je ne sais pas cuisiner les plats typiques cambodgiens qui prennent une journée complète à préparer, mais surtout, je ne connais pas la séquence pour les danses en ligne. Décidément, je ne connais pas ma culture.

Et je blâme un peu mes parents pour cette lacune. Arrivés à Montréal il y a quelques décennies, ils ont beaucoup trop aimé ce pays hivernal de Vigneault qui les a accueillis après le génocide, si on peut utiliser ce terme. Mes parents m’ont élevée à la québécoise et eux-mêmes se sont très bien adaptés : ils parlent les deux langues officielles avec un accent comique et m’amènent annuellement à la cabane à sucre. Ils me parlent en khmer sans jamais exiger que je leur réponde dans cette langue, donc je ne l’ai jamais vraiment apprise.

Le 5 avril, j’animerai le Nouvel An khmer et je verrai une horde de Cambodgiens dans leur costume traditionnel. Depuis la scène cependant, ce que mes yeux apercevront sur la piste de danse, c’est un rassemblement festif de traumatisés de guerre. Tous les Cambodgiens, systématiquement, ont un membre de la famille qui a péri durant le régime des Khmers rouges. Mon grand-père est mort et personne ne sait comment : torturé ? De famine ? Exécuté ? Les Khmers rouges frappaient les bébés sur un tronc d’arbre en les tenant par les pieds. Ma grand-mère a payé un passeur qui l’a fait traverser, durant la nuit, la frontière thaïlandaise, elle et ses quatre enfants. Mon père, d’un autre côté, a été séparé de sa famille ; a passé cinq ans dans des camps de concentration à la Dachau version agriculture. Travailler dans les rizières cinq ans avec un canon sur sa tempe, ça traumatise. Et ce n’est que l’histoire de ma famille. Le récit du reste de la diaspora khmère, je peux l’imaginer.

Alors les Khmers débarquent dans leur nouveau pays, avec faux noms et fausses dates de naissance. Dans les camps, il était courant de changer de noms ou d’interchanger son prénom et son patronyme pour se rendre plus difficilement retraçable. « Saphan » est donc le prénom de mon grand-père paternel. De fausses dates de naissance pour aller plus longtemps à l’école. De toute façon, ma grand-mère a viré Alzheimer pas longtemps après, alors personne dans famille n’a jamais su sa vraie date d’anniversaire, ou son vrai prénom à la naissance. Une gang de traumatisés, je vous dis. Aujourd’hui, mes parents sont bien casés avec une hypothèque de 45 ans, des emplois stables, deux enfants « québécisés » pas trop ingrats et une chienne Kiki (nom du chien que ma mère avait durant la guerre, mais qui fut tué par des voisins parce qu’ils crevaient de faim et qu’ils commençaient à manger des serpents, des tarentules, etc.). Mes parents sont des héros de guerre parce qu’ils ont bien tourné, mais ils demeurent néanmoins des traumatisés.

Les immigrants de deuxième génération n’ont pas vécu ce genre de drame, les enfants d’immigrés de mon âge ne savent pas ce que c’est que de tout plaquer pour un pays étranger avec seulement trente-douze dollars en poche. Brossard est un patelin rempli d’enfants de réfugiés politiques : Iran, Roumanie, Afghanistan, pour n’en nommer que quelques-uns. Tous ayant en commun des parents qui débarquent avec trente-douze dollars et des miettes de pain dans leurs poches. Implicitement, les enfants ressentent une certaine pression à honorer le sacrifice de leurs parents. Mes parents n’ont quand même pas traversé toute cette merde pour que je flushe l’école à 16 ans et que je tombe en amour avec un proxénète qui m’aurait fait des yeux doux au métro Longueuil ! Mes amis sont donc tous dans des programmes universitaires respectables. La pression des parents peut être implicite, mais très explicite et stricte aussi : « Tu vas être médecin, et ton petit frère sera un ingénieur. » Ça aurait été le rêve de ma mère que j’aille en médecine dentaire et que je marie un dentiste. Quand je la questionne sur son raisonnement, elle me dit que c’est mieux d’avoir de l’argent parce qu’on a plus de chance d’être heureux. Ce que j’entends par là, c’est qu’être malheureux dans une grosse cabane dénuée d’âme au Dix30 est une meilleure option que de pleurer dans un appartement infesté de coquerelles rue Querbes, là où ma mère a vécu.

Je n’en veux même pas aux parents vieux jeu qui imposent encore un champ d’études à leurs enfants. Ce sont des traumatisés de guerre, c’est évident. Ils veulent tellement éviter à leur progéniture de vivre la même merde qu’eux, qu’ils deviennent eux-mêmes des tyrans. Les enfants de deuxième génération sont assujettis à un autre genre de traumatisme : certes, ils n’auront pas vécu la guerre dans la définition courante du mot ; mais ils en auront vécu une, contre leurs parents : ces derniers les auront tellement aimés qu’ils leur ont donné toute la liberté que le Canada et le Québec ont à offrir, sauf la liberté d’être eux-mêmes. Après, on reproche aux jeunes de mon âge d’être individualistes. Ma génération, mon entourage d’amis ne sont pas assez individualistes et égoïstes, à mon avis. Ils se sacrifient encore. Ils remboursent une facture imaginaire laissée par les parents.

Je ne vais pas faire honneur à mes parents en finissant dentiste ou mariée à un ingénieur civil avec une maison neuve dans un quartier aseptisé du Dix30. Mais le 7 avril, j’irai voter. Ce qui revient à exercer un droit qui a été refusé à mes parents lorsqu’ils avaient mon âge (ils étaient trop occupés à faire pousser des légumes dans des tranchées pendant que des Khmers rouges les surveillaient, arme à la main). J’irai voter, ce qui reviendra à dire « merci, maman et papa, d’avoir émigré ici ».

C’est pourquoi les jeunes se doivent d’aller aux urnes. De s’informer. De lire. De se faire une idée. Nous n’avons aucune excuse. Nous sommes constamment connectés avec nos tablettes et nos cellulaires polyvalents. Aucune excuse d’être déconnectés de l’actualité quand nous sommes toujours connectés à tout, quand nous avons toujours les yeux rivés sur un écran lumineux.

Le 7, j’irai voter. Après avoir animé le Nouvel An khmer. Je suis l’animatrice francophone, et il y aura un autre animateur qui parlera cambodgien. La diaspora khmère à Montréal parle français (toujours avec cet accent comique inimitable) : la nécessité d’une animatrice francophone le prouve. Le 7, ça me tient à coeur de pouvoir voter, car voter à mes yeux est un devoir et non un droit. Mes amis fraîchement débarqués qui n’iront pas aux urnes ? C’est qu’ils délaissent déjà une des raisons pour lesquelles leurs parents ont émigré. J’irai faire un x dans une case après m’être empiffrée de nourriture cambodgienne, du genre qui prend des jours complets à préparer.

http://www.ledevoir.com/politique/quebec/404706/pourquoi-moi-fille-de-traumatise-j-irai-voter

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  • Habitués

Un beau témoignage qui devrait toucher tous ceux qui se disent : Ben ça m'intéresse pas, c'est tous les mêmes, moi la politique j'aime pas !!!!

Comme si on devait aimer la politique comme une chanson.

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  • Habitués

Oui le vote est un devoir, mais en même temps, il faut savoir s'acquitter de ce devoir.

J'espère qu'elle votera pas pour le PQ. :smile:

Elle votera ce qui lui chante meme si c'est le PQ, c'est ca la democratie.

Et sans deconner, ce ne sera pas la fin du monde si le PQ est pouvoir

Modifié par Addicttotravel
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  • Habitués

le problème c'est que peu importe pour qui on vote, c'est tous les mêmes.. on a beau écouter leurs discours ou ce qu'ils vont faire avec notre argent,lire, s'informer etc.. une fois élu ça ce passe jamais comme ça été dit et on sait même pas vraiment comment ça va virer de toute façon.

puis t'a des politiciens qui changent de partie comme ils changent de chemise.

une année les gens sont trop déçus et vont voter pour un autre partie . quand l'autre partie est élu, ça va pas mieux finalement..

finalement, on vote mais pour qui ?

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Oui le vote est un devoir, mais en même temps, il faut savoir s'acquitter de ce devoir.

J'espère qu'elle votera pas pour le PQ. :smile:

Elle votera pour qui elle voudra.

J'ai quand même pas le droit d'espérer? :)

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  • Habitués

le problème c'est que peu importe pour qui on vote, c'est tous les mêmes.. on a beau écouter leurs discours ou ce qu'ils vont faire avec notre argent,lire, s'informer etc.. une fois élu ça ce passe jamais comme ça été dit et on sait même pas vraiment comment ça va virer de toute façon.

puis t'a des politiciens qui changent de partie comme ils changent de chemise.

une année les gens sont trop déçus et vont voter pour un autre partie . quand l'autre partie est élu, ça va pas mieux finalement..

finalement, on vote mais pour qui ?

Le pb c'est que generalement les gens votent toujours pour les memes partis en alternant et ne donne pas la chance aux autres partis, dans le cas du Quebec: Ce sont le PQ et PLQ qui sont tout le temps au pouvoir mais pourquoi pas la CAQ (si javais eu le droit de vote j'aurais voter pour celui-ci)? Bref, comme tu l'ecris ca revient tjs au meme si on ne change pas

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  • Habitués

le problème c'est que peu importe pour qui on vote, c'est tous les mêmes.. on a beau écouter leurs discours ou ce qu'ils vont faire avec notre argent,lire, s'informer etc.. une fois élu ça ce passe jamais comme ça été dit et on sait même pas vraiment comment ça va virer de toute façon.

puis t'a des politiciens qui changent de partie comme ils changent de chemise.

une année les gens sont trop déçus et vont voter pour un autre partie . quand l'autre partie est élu, ça va pas mieux finalement..

finalement, on vote mais pour qui ?

Le pb c'est que generalement les gens votent toujours pour les memes partis en alternant et ne donne pas la chance aux autres partis, dans le cas du Quebec: Ce sont le PQ et PLQ qui sont tout le temps au pouvoir mais pourquoi pas la CAQ (si javais eu le droit de vote j'aurais voter pour celui-ci)? Bref, comme tu l'ecris ca revient tjs au meme si on ne change pas

oui c'est sûr, mais si un jour c'est la CAQ et au final ça finit comme avec les autres.. des promesses et rien ne bouge.

me dérange pas d'essayer la CAQ , mais je suis sûr que ça revient au même que les autres.

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Merci pour ce témoignage de seconde génération, c'était vraiment très émouvant.

Voter est effectivement une belle façon de participer à la vie collective de ce pays, mais d'un autre côté je comprends aussi les gens qui sont de plus en plus déçu par le jeu politique.

Le plus gros parti serait probablement l'abstention ou le vote nul, mais le problème c'est que celui ci ne gouvernera jamais (du moins de façon démocratique).Alors apres Il reste quoi ? Le vote utile/stratégique, le vote contre ou désespéré ? Et malgré cela on a toujours l'impression qu'à ce petit jeu des chaises musicales, l'histoire se répète encore et encore.

Alors probablement que selon les règles du jeu actuel, le seul moyen de courtcuiter ce cycle c'est de se réfugier dans une radicalisation que personne n'ose vraiment tenter.

L'abandon par l'abstention restant toujours l'option la plus facile à adopter.

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