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Le joual a-t-il appauvri ou enrichi la culture québécoise?


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À priori, je dirais que le "joual institutionnalisé" n'est pas une fin en soi, mais une étape nécessaire dans l'émancipation du peuple québécois. Le joual était la langue du peuple à l'époque, celle parlée par la majorité. Certes, il n'y avait pas de joual "universel", mais c'était une manière de parler dans laquelle le peuple allait s'identifier... à condition qu'il soit présent dans les médias. Le fait qu'on ne parle plus vraiment le joual, ou même qu'on n'EN parle plus aujourd'hui montre bien le chemin parcouru. Quand a-t-on parlé du joual dans les journaux, pour la dernière fois (à part dans ce reportage d'histoire)?

La situation du point de vue linguistique pourrait se rapprocher de celle de la Révolution Française: le parler du peuple a été pris comme modèle, et a supplanté le parler de la cour. Rejeter l'accent du roi, c'est rejeter le roi, en quelque sorte. Au Québec, en rejetant la rectitude linguistique, on rejetait avant tout le clergé et les professionnels érudits (notaires, avocats, banquiers et médecins). On rejetait aussi du même mouvement les médias et la littérature de l'époque, auxquels les gens ne s'identifiaient absolument pas. Il n'y a qu'à voir la manière d'écrire de la grande Rina Lasnier par exemple. Avant la Révolution Tranquille, c'était la poésie quasi cléricale de "Féérie indienne" et de "La modestie chrétienne". Après, il y a eu dans son écriture une certaine libération.

La génération suivante d'auteurs a puisé abondamment dans la langue populaire, qu'ils ont adoptée à différents degrés. En effet, si le "joual" de certains servait avant tout à électriser les foules (Charlebois) ou à provoquer (Gauvreau), chez d'autres auteurs le niveau de langue était plus naturel. On peut prendre comm exemple Nicole Brassard qui, dans "French Kiss", utilise une langue de tous les jours, sans embellissement mais sans joualisation non plus, pour soutenir sa poésie délirante. Un pur délice et un texte qui a fait époque.

Évidemment, à partir du moment où la langue populaire est exposée au grand jour, sur la place publique, on ne doit pas s'asseoir sur sa victoire. Elle était nôtre, mais elle était amochée (ou moche, selon les opinions de l'époque). C'est ainsi qu'il fut décidé qu'un immense chantier linguistique serait entrepris pour la redresser, pour lui enlever ses pires travers (les anglicismes, les calques), sans toutefois lui enlever ses plus géniales créations. Car le fait de parler une langue non conforme au Petit Robert ne signifie pas mal parler. L'évaluation de la langue tient compte d'un ensemble de facteurs, dont le pouvoir politique et le désir de domination culturelle. On ne s'étonnera pas dès lors que Radio-Canada ignore une bonne partie des directives de l'OLF pour se plier sagement aux diktats de l'Académie Française, quitte à pilonner sans relâche la spécificité québécoise et à évacuer tout ce qui fait sa richesse.

À voir les résultats de cette évolution rapide du 20e siècle, au cours d'une petite révolution culturelle, on perd souvent toute perspective. Avant le joual, qu'y avait-il? Eh bien, on pourrait tout d'abord relever le clivage linguistique qui avait court jusqu'aux années 1950: ceux qui avaient le réel pouvoir parlaient Anglais, ceux qui avaient le pouvoir local parlaient un Français tiré des livres, et ceux qui n'avaient pas le pouvoir parlaient mal et étaient à moitié assimilés à l'Anglais des premiers. Telle était la hiérarchie linguistique, fidèle représentation de la hiérarchie socio-économique. Mais comment parler mieux quand on est garagiste et que tous les manuels techniques sont écrits en Anglais? Comment parler mieux quand on est fils de cultivateur et qu'on doit abandonner l'école en 7e année pour travailler dans les champs (car l'école n'était pas obligatoire)? Comment être fiers de ponts ou de monuments dédiés à la reine ou au prince, et construits en Anglais sous des directives écrites en Anglais par des travailleurs francophones qui ne décident de rien? Enfin, comment parler mieux quand on achète de la flour, de la molasse et un tea pot? Du coup, la révolution tranquille, en amenant le joual à l'avant-plan, a mis la majorité du peuple québécois au pouvoir, ce qui a fait pencher la balance et lui a permis de s'exprimer librement. Sans le joual, seule une petite élite francophone aurait eu accès aux tribunes, et elle n'aurait jamais changé les choses aussi rapidement -- ou même, aurait-elle été en mesure de changer les choses, toute courtisée qu'elle était par la "Petite Loterie" coloniale (voir Stéphane Kelly à ce sujet).

Le chantier linguistique entrepris dans les années 1960 est toujours présent au Québec, avec ses horribles échafaudages, ses tranchées, ses vieux murs de brique rouge et ses fragiles constructions de pierre des champs. La langue parlée maintenant n'est plus du joual, qui n'a d'ailleurs jamais été enseigné à l'école; c'est une langue qui, bien qu'imparfaite, a su s'imposer et devenir celle qu'on parle tous les jours. Le grand barrage Manic 5 a été construit en langue québécoise, les équipements d'Hydro-Québec sont fabriqués avec des plans écrits en Français. Les tableaux de contrôle dans LG2 sont aussi en Français. Et on peut acheter son savon à lessive en Français dans des supermarchés aux affiches en Français, et lire l'emballage qui est écrit en Français. De petites victoires linguistiques, de grandes réalisations d'ingénierie, qui n'auraient jamais été possibles sans le passage temporaire par le joual. Telle est ma vision d'un Québec en marche...

Modifié par Zogu
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J'ai du mal à imaginer qu'un élément de la diversité culturelle d'un peuple puisse, en même temps, l'appauvrir. Tant que le "joual" ne devient pas la "norme", mais on en est loin ! Je connais bien du monde qui maîtrise avec excellence la langue française, mais n'hésitent pas à parler le joual, à lire Michel Tremblay avec délice...

C'est un peu, à l'image de bien des auteurs français qui écrivent en argot parisien par exemple. Frédéric Dard pour ne citer que lui... ne fait-il pas partie intégrante du patrimoine culturel français ? Qui remettrait en cause le fait que sa littérature EST de la littérature et non pas une sous-culture.

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Posté(e)

J'ai du mal à imaginer qu'un élément de la diversité culturelle d'un peuple puisse, en même temps, l'appauvrir. Tant que le "joual" ne devient pas la "norme", mais on en est loin ! Je connais bien du monde qui maîtrise avec excellence la langue française, mais n'hésitent pas à parler le joual, à lire Michel Tremblay avec délice...

C'est un peu, à l'image de bien des auteurs français qui écrivent en argot parisien par exemple. Frédéric Dard pour ne citer que lui... ne fait-il pas partie intégrante du patrimoine culturel français ? Qui remettrait en cause le fait que sa littérature EST de la littérature et non pas une sous-culture.

Je suis d'accord avec toi sur ce point: le joual est, aujourd'hui, une manière de parler, une saveur que les auteurs québécois peuvent donner à leurs écrits. Mais si nous remontons 30 ans ou 50 ans en arrière, alors la langue parlée au Québec prend une dimension toute autre, elle devient un fort enjeu politique et social. D'un côté il y a ceux qui crachaient sur "les masses peu instruites et toutes prises dans la robe du clergé", et qui étaient trop souvent des intellectuels hautains, plus prêts à collaborer avec l'ordre établi qu'à amener un réel changement. De l'autre, il y a avait une nouvelle génération d'auteurs, de politiciens, d'intellectuels populistes (qui ne méprisaient pas le petit peuple), et qui étaient prêts à prendre des risques pour faire avancer le Québec.

Ainsi, la différence entre "L'alouette" de Félix Leclerc et "Québec love" de Robert Charlebois n'est pas dans l'essence du discours (la révolte d'un peuple), mais plutôt dans la langue utilisée. Une génération sépare ces deux paroliers. Donc continuité dans le discours, mais brisure dans la langue utilisée -- ce qui permettra à Charlebois de dynamiser un public beaucoup plus large.

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... Michel Tremblay revient sur cette période deffervescence pour la culture québécoise, de même que Jean-Paul Desbiens, mieux connu sous le nom du frère Untel ...

Joual, 1960, Père Untel ... et hop, je rebondis

Comme Jean-Paul Desbiens vient de décéder, la vidéo de son interview enregistrée le 21 novembre 1960 suite à la sortie de son livre : Les Insolences du frère Untel, est disponible sur le site de Radio-Canada et plus directement ICI

C'est une vidéo à voir, surtout pour les immigrants ... ;)

Comme la vidéo est assez longue, si vous êtes impatient, calez-vous directement vers la 10e minute ... (avant de la visionner en entier ) :lol:

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Les langues ont toujours été influencées par l'histoire... c'est vrai. On finit souvent par l'oublier. L'anglais, par l'invasion normande :) ... le français par la république et par les différentes invasions... et je pense que l'on pourrait citer toutes les langues de la terre comme ça.

Dans le fond, c'est ça des "langues vivantes"... On parle d'histoire, de différences sociales, voire même d'éducation tout simplement... Les influences régionales aussi ont leur importance.

  • Habitués
Posté(e) (modifié)
... Michel Tremblay revient sur cette période d’effervescence pour la culture québécoise, de même que Jean-Paul Desbiens, mieux connu sous le nom du frère Untel ...

Joual, 1960, Père Untel ... et hop, je rebondis

Comme Jean-Paul Desbiens vient de décéder, la vidéo de son interview enregistrée le 21 novembre 1960 suite à la sortie de son livre : Les Insolences du frère Untel, est disponible sur le site de Radio-Canada et plus directement ICI

C'est une vidéo à voir, surtout pour les immigrants ... ;)

Comme la vidéo est assez longue, si vous êtes impatient, calez-vous directement vers la 10e minute ... (avant de la visionner en entier ) :lol:

J'ai été voir... ainsi qu'une bonne partie des documents sur l'éducation dans les années 60... ça prend du temps mais c'est très instructif. -_- Je n'imaginais pas vraiment quelle était la situation à ce moment. Il faut dire qu'à Genève, la séparation de l'église et de l'état date de 1909, et qu'au moment où au Québec on rendait l'école secondaire gratuite, ma mère était à l'université. Et même mon arrière grand-père, qui était un artisan pas spécialement fortuné (et qui avait quitté l'école à 12 ans), avait réussi à envoyer son fils faire des études de médecine... Il y a comme un décalage d'une ou deux générations par rapport au Québec (cela a bien été rattrapé depuis, mais de le savoir ça aide à comprendre certaines choses). :blushing:

Modifié par Tartine
  • Habitués
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Mes hommages Zogu, vraiment. :)

Joual, 1960, Père Untel ... et hop, je rebondis

Comme Jean-Paul Desbiens vient de décéder, la vidéo de son interview enregistrée le 21 novembre 1960 suite à la sortie de son livre : Les Insolences du frère Untel, est disponible sur le site de Radio-Canada et plus directement ICI

C'est drôle, je m'attendais à ce qu'il ait un français bien verni et l'accent radio-canadien de l'époque! Pantoute! D'ailleurs, le contraste entre sa façon de s'exprimer et celle de l'animatrice est frappant. :lol:

Il y a comme un décalage d'une ou deux générations par rapport au Québec (cela a bien été rattrapé depuis, mais de le savoir ça aide à comprendre certaines choses). :blushing:

Tu n'as pas à rougir de ça, voyons! Tu as raison! Et c'est vrai que lorsqu'on se penche vraiment sur l'histoire du Québec, on cerne beaucoup mieux la situation. Mieux vaut tard que jamais. ;)

Modifié par cherry
  • Habitués
Posté(e)

Mais si nous remontons 30 ans ou 50 ans en arrière, alors la langue parlée au Québec prend une dimension toute autre, elle devient un fort enjeu politique et social. D'un côté il y a ceux qui crachaient sur "les masses peu instruites et toutes prises dans la robe du clergé", et qui étaient trop souvent des intellectuels hautains, plus prêts à collaborer avec l'ordre établi qu'à amener un réel changement. De l'autre, il y a avait une nouvelle génération d'auteurs, de politiciens, d'intellectuels populistes (qui ne méprisaient pas le petit peuple), et qui étaient prêts à prendre des risques pour faire avancer le Québec.

C'était d'ailleurs le cas de Gaston Miron, poète militant et défenseur du joual.

ICI, une de ses entrevues.

  • Habitués
Posté(e) (modifié)

Wow, absolument géniale cette entrevue de Gaston Miron. Merci Jade.

Comme le dis très bien le poète, le problème ce n'est pas le joual, le problème c'est l'anglais : le débat autour du joual est un faux débat, selon lui. Quon dise joual ou oual ou cheval, peu importe, pourvu quon ne dise pas horse.

Ben d'accord avec ca joualvert :P

jimmy

Modifié par jimmy
  • Habitués
Posté(e)

Mais si nous remontons 30 ans ou 50 ans en arrière, alors la langue parlée au Québec prend une dimension toute autre, elle devient un fort enjeu politique et social. D'un côté il y a ceux qui crachaient sur "les masses peu instruites et toutes prises dans la robe du clergé", et qui étaient trop souvent des intellectuels hautains, plus prêts à collaborer avec l'ordre établi qu'à amener un réel changement. De l'autre, il y a avait une nouvelle génération d'auteurs, de politiciens, d'intellectuels populistes (qui ne méprisaient pas le petit peuple), et qui étaient prêts à prendre des risques pour faire avancer le Québec.

C'était d'ailleurs le cas de Gaston Miron, poète militant et défenseur du joual.

ICI, une de ses entrevues.

Moi je suis toujours ami avec Olivier Marchand, compagnon de route de Gaston Miron... et qui n'écrivait pas en joual. Il n'en avait pas besoin... pour lui, la langue de tous les jours suffisait, sans "forcer le joual". Or, ses écrits étaient tout aussi puissants. Les deux comparses ont fondé ensemble les éditions de l'Hexagone.

  • Habitués
Posté(e)

J'ai enregistré "Tout le monde en parlait" hier, et l'ai regardé en revenant du boulot. J'adooooore cette série... :wub:

On y voit entre autre Michel Tremblay, qui nous parle du phénomène entourant sa pièce de théâtre "Les Belles Soeurs". Écrite et jouée en joual, elle a fait scandale, secouant les bien-pensants de l'époque, protecteurs de la langue française dite pure. Pourtant, la majorité des Canadiens français de l'époque parlaient comme ça... Quand ils sont allés à Paris pour la présenter, le gouvernement du Québec a même fait une conférence de presse là-bas, histoire de dénigrer la pièce et de décourager les journalistes et le public d'y aller! Bref, ils en avaient honte!!!! :blink: Sans succès: les Parisiens sont allés et étonnamment, ont beaucoup aimé... même s'ils n'ont pas tout compris. :D

Michel Tremblay a dit que c'était un hommage aux femmes de l'époque, à sa mère. En effet, beaucoup de familles canadiennes françaises ont quitté la campagne et se sont installés en ville, là où il y avait du boulot. Les hommes allaient travailler au chantier en anglais... et ramenaient à la maison des mots et des expressions anglaises. Les femmes elles, refusaient de se laisser assimiler et persistaient à parler français à la maison. Au fur et à mesure, le joual se développa. Donc, elles ont à leur façon freiné l'assimilation.

Ce n'est pas la première fois qu'on associe les femmes à la langue française: au début de la colonie, c'est notamment grâce à elle qu'il y eut francisation malgré les nombreux patois, les filles du Roy ayant été élevées dans des couvents et parlant français. Et comme ce sont elles qui transmettaient la langue aux enfants, le français s'est répandu. Contrairement à ce qui s'est passé en France après la Révolution française, il n'y a pas eu de prise en main de la langue ici, ça s'est fait naturellement. Ainsi, les habitants de la Nouvelle-France ont parlé français AVANT les Français...!

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