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07 JANVIER 2013
Blogue, Libération

Le Québec, eldorado des jeunes Chinois

A la médiathèque de lAlliance française de Nankin - seul lieu de la ville où lon peut emprunter des livres en français-, un rayonnage dénote au milieu des classiques « sociologie », « histoire » et autres « bandes dessinées ». « Québec », est-il inscrit au-dessus de létagère, aussi grande que la moitié de la section « littérature ». Des romans québécois, des livres de géographie, mais aussi et surtout des manuels de conseils pour réussir son dossier démigration vers la province francophone du Canada. Javais déjà eu vent de lintérêt des jeunes Chinois pour cette région, qui explique une partie de leur engouement pour la langue française une maîtrise minimale étant pré-requise à limmigration. Deux dentre eux, rencontrés sur place, ont accepté de me raconter comment ils ont pris la décision de quitter leur pays.

Agés de trente ans, Wu et Huang sont mariés depuis trois ans. Elle vient de la province du Yunnan, lui de Yangzhou, à 70 km de Nankin. Tous deux sont informaticiens et se sont rencontrés à Shenzhen, la « zone économique spéciale », où ils travaillaient jusquà lan dernier. « En Chine, la masse de tâches à accomplir dans les métiers de linformatique est énorme. Cest épuisant », confie Huang . Son époux renchérit : « Et puis on a souvent limpression dêtre un instrument du parti. Dans lentreprise où je travaillais, jai dû aider à élaborer un logiciel qui surveille les informations personnelles de la population. Cest un peu cliché, mais je préfère utiliser mes compétences pour faire avancer le progrès que pour observer mes compatriotes. »

La mobilité pas encouragée

Lancés sur le sujet, ils exposent leur sentiment de ne pas pouvoir saccomplir en Chine. Wu évoque dabord le 户口 (Hukou), système denregistrement du lieu de résidence des Chinois. Instauré pour protéger les métropoles de lattrait quelles exercent sur les habitants de la campagne, le dispositif donne à chaque citoyen le droit daccéder aux services publics à des tarifs normaux uniquement dans la ville où il naît. Si le système tend à sassouplir, les modalités dobtention dun nouveau Hukou dépendent encore de chaque ville. « Mon Hukou est à Yangzhou, celui de mon épouse dans le Yunnan. Pour le faire transférer à Nankin, il faudrait quen plus dy travailler, on y loue un appartement dau moins 60m2, ce qui est bien au-dessus de nos moyens », explique-t-il. « A quoi bon trouver un emploi, construire notre vie dans une ville où on sait que nos enfants ne pourront pas aller à lécole ? » Puis viennent des raisons plus attendues, labsence de liberté et dimpact sur la direction que prend le pays : « Les élections nen sont pas, le peuple na jamais son mot à dire. Le gouvernement prélève des impôts qui augmentent directement le prix des produits, sans lécrire nulle part. La plupart des gens achètent sans se poser de question. » Son épouse le relaye: « Notre pouvoir dachat est extrêmement faible. Pour couvrir le loyer, les dépenses quotidiennes, les salaires suffisent à peine. Se soigner, étudier, voyager Ce seront toujours des luxes si nous restons ici. »

Le couple utilise un VPN (Virtual Private Network) pour contourner la censure chinoise et avoir accès aux sites occidentaux : « Facebook est un moyen de sexprimer et daccéder à toutes les informations que partagent nos connaissances. On estime que cest notre droit. » Parfois un peu cyniques, ils se disent tout de même « inquiets pour lavenir de la Chine ». Ont-ils songé à tenter dagir à leur niveau sur ce système dont ils se sentent prisonniers, plutôt que de quitter leur pays ? Wang sourit : « Même avec de bonnes idées, on ne peut rien faire ici. Le domaine politique est verrouillé, tout est interdit. » Il veut croire que les choses changeront, « peut-être dans cinquante, soixante ans. Mais pour nous et nos futurs enfants, ce sera trop tard ». Son épouse de renchérir : « En attendant, si on ne suit pas le troupeau, on na aucune chance dêtre promu, de réussir dans la vie. On aspire à autre chose, à tous les niveaux. Et pour ça, on doit forcément partir.»

Plus de chances au Canada qu'aux Etats-Unis

Pourquoi le Québec ? « Au début, on rêvait des Etats-Unis, comme tout le monde. Mais on a rapidement renoncé, cest presque impossible dy émigrer aujourdhui », explique Wang. Il poursuit: « Le Canada est juste à côté, cest presque pareil finalement et, venant de Chine, on a là-bas plus de chances concrètes dêtre acceptés. » Pour espérer obtenir le précieux visa, il faut exercer un métier dont la main duvre manque dans le pays daccueil. « Il y a une liste, assez changeante, des spécialités nécessaires. Lorsque lon a entamé les démarches, le Canada accueillait quelques informaticiens. A léchelle du pays, ce nest plus le cas aujourdhui. » Mais des projets particuliers permettent à certaines provinces canadiennes démettre des besoins spécifiques dimmigration. Cest le cas du Québec. « Ces trois dernières années, je pense que cétait la première destination démigration des Chinois, devant lAustralie », affirme Wang. LAustralie et son climat de rêve, ils y ont renoncé au vu du niveau danglais requis et du faible quota dinformaticiens accueillis. « Et puis, on a entendu dire que les Australiens nétaient pas très sympas avec les Chinois »

La destination choisie, le couple a méthodiquement attaqué la montagne de démarches administratives qui se présentait devant eux. En apprenant la langue de Molière, dabord. Incapables de dire autre chose que « bonjour » et « merci » au mois davril dernier, ils parlent aujourdhui un français plus que correct. Des progrès fulgurants qui sexpliquent par lintensité du programme de langue suivi à lAlliance française de Nankin. « On avait mis de largent de côté pour prendre le temps dapprendre le français, préparer les tests de niveau sans avoir à travailler », explique Wang. Objectif atteint : les résultats des examens de français et danglais viennent de leur parvenir et devraient être suffisants pour leur dossier. Outre le critère de la langue, les visas sont attribués aux détenteurs du plus grand nombre de « points », maffirme le couple: « Tout est noté. Un enfant vaut quatre points, deux enfants, huit. Ils veulent des immigrants à la situation la plus stable possible. » Pour accroître leurs chances, ils ont mis en avant le fait dêtre mariés : sur le papier, Wang est le demandeur de visa « principal », Huang son «épouse ». La jeune femme est lucide : « Une fois toutes les pièces du dossier rassemblées, il faut parfois patienter deux ans pour obtenir le visa. » Au mois de janvier, ils chercheront du travail en Chine, en attendant la bonne nouvelle. Mais sans cesser de sinformer sur le Canada, de réviser leur français ni de rêver de leldorado Québécois : « On a peu dattaches en Chine. Une fois sur place, on espère convertir notre visa en droit de résidence permanent assez vite. Puis au bout de quatre ans, changer de nationalité !»

source : http://nankin.blogs.liberation.fr/chine/2013/01/le-qu%C3%A9bec-eldorado-pour-des-jeunes-chinois.html

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