Le voici : Même sur Internet, les Québécois sont différents des Français Édition du vendredi 21 avril 2006 <http://www.ledevoir.com/2006/04/21/index.html> Mots clés : Québec (province), France (pays), internet Français et Québécois sont de proches cousins, mais personne ne niera qu'ils se distinguent à de nombreux égards. Deux psychologues français ont relevé de nouvelles différences culturelles en analysant la façon dont les uns et les autres se présentent au monde sur Internet. Leur conclusion: dans la société française, les femmes sont soumises aux hommes. Au Québec, ce rapport de force entre les sexes est moins marqué. Il se situe plutôt entre francophones et anglophones. Les femmes françaises et les Québécois en général adoptent, sur leur page Internet personnelle, un discours empreint de valeurs sentimentales. Source: PictureArts Les résultats de cette étude qui visait à comparer la façon dont les Français et les Québécois se présentent sur leurs sites Internet personnels étaient présentés hier dans le cadre de la 18e Conférence francophone sur l'interaction humain-machine (IHM), qui se déroule cette semaine à l'École polytechnique de Montréal. «On voulait ainsi savoir comment les gens se présentent au monde : qu'est-ce qu'ils montrent d'eux-mêmes et qu'est-ce qu'ils ne révèlent pas ?», précise Éric Brangie, psychologue social à l'Université Paul Verlaine à Metz, en France. «Or le développement d'Internet a permis à de nombreuses personnes de réaliser un site web personnel dans lequel femmes et hommes de toutes nationalités donnent à voir une partie d'eux-mêmes au monde entier. La page web personnelle constitue une sorte de miroir identitaire de son propriétaire. Ce dernier accommode sa page personnelle selon ses désirs, ses préférences, son genre et, surtout, selon sa culture.» Au cours de leur étude, Éric Brangie et son collègue Pascal Tisserant ont glané au hasard 100 pages Internet personnelles, dont 25 avaient été conçues par des femmes françaises, 25 autres par des femmes québécoises, 25 par des hommes français et 25 par des hommes québécois. On a ensuite soumis le contenu verbal de ces sites à une analyse lexicale automatisée. En d'autres termes, un logiciel a compté les mots et les énoncés, puis les a regroupés en différentes catégories associées à des thèmes ou des contextes particuliers. Deux classes thématiques principales sont ressorties de l'analyse. La première se composait de références à la vie et à l'identité professionnelles avec des mots comme «syndicat», «entreprise», «université», «comité», «niveau», «poste», «département», «négociation», etc. Ce vocabulaire qui exprimait un besoin de présenter son savoir professionnel et des valeurs associées à la réalisation et à la performance était utilisé presque exclusivement par les hommes français. L'autre classe, davantage associée aux relations interpersonnelles hors travail, comprenait des mots relatifs à la famille («enfant», «père», «soeur»), aux sentiments («aimer», «adorer», «larme», «pleurer», «triste»), à la nature («nuit», «soleil», «étoilé», «ciel», «oiseau») et aux activités de la vie quotidienne («film», «raconter», «sortir»). Or ce discours qui exprime des valeurs plus sentimentales était adopté presque strictement par les femmes françaises et par les Québécois (hommes et femmes). «Les hommes français avaient un discours de présentation qui demeurait très professionnel, résume Éric Brangie. Ils parlent de virilité, de profession, de pouvoir dans les entreprises tandis que, de l'autre côté, on a relevé un discours beaucoup plus sensible et personnel (au sens de vie privée, voire intime) que les Québécois en général et les femmes françaises privilégient.» Ces modes de présentation différents entre les hommes français et les femmes françaises reflètent des rapports de soumission et de domination culturelle, fait remarquer le chercheur. Une telle différence entre les hommes et les femmes n'était toutefois évidente que dans la culture française, où chaque genre adoptait un des deux univers sémantiques. Elle était par ailleurs loin d'être aussi significative entre les femmes et les hommes québécois dans l'échantillon comprenant des hommes français. «Dans la société française, la soumission s'exprime au niveau des genres, la femme étant soumise à l'homme, qui occupe un rôle dominant. Dans la société québécoise, la soumission est d'une autre nature : les Québécois, hommes et femmes, sont quant à eux soumis au monde anglophone, avance Éric Brangie. La société québécoise étant un micromonde dans le continent nord-américain, la soumission culturelle qui s'exprime est celle du monde anglophone vis-à-vis du monde francophone.» C'est la seule hypothèse qui puisse expliquer la particularité du discours des Québécois par rapport à celui des Français, indique le psychologue. «Cette soumission, en l'occurrence au monde anglophone, produit une façon de penser le monde et surtout une présentation au monde qui intègre davantage des valeurs de sensibilité féminine que de virilité, de rapports conflictuels, d'occupation du terrain ou de pouvoir. Pourquoi trouve-t-on le terme "syndicat" comme mot clé dans les sites Internet d'hommes français alors qu'il est totalement absent des sites créés par des hommes québécois ?», affirme-t-il. Pour étayer leur hypothèse, les auteurs citent en exergue de leur article Pierre Falardeau, qui lance dans la chanson Amour oral de Loco Locass : «Il faut arrêter de toujours s'excuser. Le problème est bien simple, le Québec est un pays conquis et annexé par la force. [...] Donc, le peuple québécois est un peuple soumis, un peuple vassalisé, un peuple inféodé à un autre... »