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Le « date » à l'américaine, un jeu de l'amour, pas du hasard

Anna Rios-Bordes | Journaliste

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Capture d’écran de « Manhattan » de Woody Allen, 1979 (United Artists)

Avant de se mettre réellement en couple, les Américains prennent toutes sortes de précautions en se prêtant au jeu codifié du « date ». Cérémonial basé autour de la rencontre amoureuse, le date ne laisse pas beaucoup de place à la magie. Vingt praticiens du genre nous ont enseigné comment sortir – à peu près – indemne de ce parcours du combattant.

La rencontre, cette équation mathématique

Pour la New-Yorkaise Katherine Vucelic, 23 ans, la règle primordiale du date est purement mathématique : il faut doubler le temps d’attente imposé par son partenaire.

« Si un mec met trois heures à répondre à mon texto, j’attends six heures avant de répondre au sien. »

Ce type de commandements amoureux est courant aux Etats-Unis. Le jeu de séduction y est une véritable stratégie de guerre qui mettrait à plat n’importe quel Européen candide venu, la fleur au fusil, flâner au pays du pragmatisme sentimental.

A l’autre bout du continent (Los Angeles), Sara Forrest est une avocate de 30 ans qui systématise également le calcul amoureux :

Chaque Américain a un avis sur comment optimiser ses chances de conquête durant la bataille. Le déroulé des manœuvres est fixé à l’avance et ne laisse pas de place à l’improvisation.

« L’amour est un jeu de correspondance : si un homme t’écrit deux lignes dans un e-mail, réponds deux lignes dans ton e-mail. Il ne faut pas donner plus qu’il ne donne. »

Le parcours ultra-balisé des « dates »

Après s’être rencontrés, plu et avoir échangé leur numéro de téléphone, un homme et une femme décident de boire un verre (le premier date). Si les attentes intellectuelles des deux parties se répondent, un baiser est échangé sur le perron d’une porte.

Le texto proposant un deuxième rendez-vous, trois jours après le premier verre, vient entériner la réciprocité de l’attirance. Tout aussi formel que le premier rendez-vous, le deuxième date est cependant plus engageant. Les retrouvailles ont lieu autour d’un repas, format de socialisation qui permet de s’enquérir plus précisément du passé de l’autre, de son milieu.

Le troisième date implique généralement un cinéma, occasion rêvée pour faire passer au sondé le petit quiz des références culturelles.

Pour 80% des personnes interrogées, c’est le quatrième date qui sonne l’heure du passage au lit. Si cette étape, ô combien stratégique, est satisfaisante pour les deux parties, les dates s’enchaîneront au rythme de deux fois par semaine. Avec une légère variation dans les thèmes : les plus classiques iront à la patinoire et au bowling, les plus impétueux s’envoleront pour un week-end test dans le Vermont. (Voir un extrait de « Crazy night » – un date dans un restaurant)

Le sésame de l’exclusivité

Il faut laisser au moins quatre mois à la relation avant de se déclarer officiellement « boyfriend and girlfriend ». Ce nouveau statut s’accompagne de la fameuse discussion sur l’exclusivité : la question « sommes-nous dorénavant exclusifs ? » met un terme à la possibilité de sortir avec plusieurs personnes à la fois.

La polygamie, visiblement inscrite dans la Convention du date, est donc étonnamment autorisée aux Etats-Unis : elle ne constitue pas, tant qu’elle est temporaire et justifiée par la sainte volonté de trouver le bon poulain, une faute morale.

C’est à ce moment-là que notre jeune Européen rêveur se ratatine en comprenant qu’il porte rétrospectivement des cornes depuis douze semaines. En comprenant également que l’ultime récompense du date, après un combat proche du darwinisme, est la seule promesse d’une fidélité biblique.

Le « je t’aime » ? Pas avant six mois de relation

Et quand est-ce qu’on se dit « je t’aime » dans tout ça ? Il doit bien y avoir une Déclaration des droits des sentiments ? Mia Bruno, productrice indépendante de 27 ans originaire du New Jersey, demande :

Les règles basiques de la rencontre amoureuse font consensus. Les rares Américains qui y dérogent sont un peu plus nombreux à New York et San Francisco (villes cosmopolites) et le font par opposition à un phénomène si établi culturellement que cela ne relève pas vraiment du libre arbitre.

« Vous voulez-dire quand est-ce qu’on se met vraiment à nu ? En principe, on ne dit pas “je t’aime” avant six mois, sinon on perd tout le pouvoir. »

Ne pas suivre les règles, c’est les suivre quand même

James Moore, conseiller financier de 27 ans et originaire du Maine, surprend les femmes qu’il courtise en les emmenant dès le premier date pique-niquer près d’une rivière.

Sauf pour le passage à l’acte, où le réflexe du code resurgit complètement :

« Je date à l’européenne, je suis spontané. »

Evan McGrath, 24 ans et originaire de la très latino ville de Miami, prétend aussi échapper aux règles réductrices du date :

« Jamais le premier soir. Si tu raccompagnes une fille en bas de chez elle et que tu veux lui signifier qu’elle te plaît vraiment, tu t’en vas direct. »

Drôle de façon de renverser l’étiquette. Paradoxe fâcheux, ces conventions fixes du date sèment le trouble plus qu’elles n’éclairent. L’interprétation des signaux est infinie et souvent vaine.

« Je n’ai pas de ligne de conduite. Je ne vais simplement jamais au restaurant pour un premier date. Si elle est chiante, t’es foutu, coincé pour quatre heures. Le mieux, c’est un café. »

On entend, dans les bars de la Big Apple (symptomatique « Sex and The City“), les lamentations de sirènes aux abois du type :

Ou bien :

‘Il ne m’a pas embrassée lors du premier date, mais m’a quand même proposé de le revoir, je lui plais ou pas ?’

Des célibataires épuisés par une “spéculation permanente”

Nicolas Quenouille, expatrié français de 27 ans établi à New York depuis deux ans, trouve cet exercice accablant :

Pour Mia Bruno, qui a passé une année à Paris, l’absence de règles en France en devient rafraîchissante :

“ Le date est une spéculation permanente, c’est absolument épuisant. ”

Le romantisme américain se situe dans le prolongement du mystère de l’autre, dans la découverte parcimonieuse de ses hobbies, de ses secrets livrés au compte-gouttes. En ce sens, il est un romantisme délicat, consciencieux et continu.

“ Les Français sont moins énigmatiques, ils disent ce qu’ils veulent, ils s’accordent la liberté d’aimer spontanément. ”

Le romantisme français, plus flambant, prône la surenchère dans la découverte de l’autre, l’escalade des sentiments. En France, la transgression des règles, l’abandon, l’urgence à se posséder, sont perçus comme des signes positifs d’intérêt mutuel. Cette attitude gourmande donnerait le vertige à n’importe quelle Américaine.

L’amour à l’américaine vs l’amour à la française

Laura Sparrow, scénariste de 34 ans établie à Los Angeles, a daté un Français enjôleur :

Nourris au biberon du romantisme, les Français donnent aux Américains l’impression de mimer la passion, par “amour de l’amour”. Jamie Hook, réalisateur de 42 ans et originaire de Seattle, rappelle que les Français se familiarisent tôt avec le libertinage :

“ Il était trop intense, j’avais l’impression qu’il se foutait de ma gueule, qu’il avait chanté la même chanson à mille autres filles. Son empressement n’était pas le fruit de la passion mais un moyen d’arriver à ses fins. Et puis cette manie d’appeler à 2 heures du matin... ”

suite et source : http://rue89.nouvelobs.com/rue69/2011/05/05/le-date-a-lamericaine-un-jeu-de-lamour-pas-du-hasard-202611

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