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La pancarte et le poing levé


Emilie Pelletier

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(Vous pouvez retrouver tous mes billets et photos sur : lestachesdefraise.com)

J'ai commencé à faire grève, un peu comme j'ai commencé à donner mon sang : j'aimais rater les cours. Chaque occasion qui me permettait de profiter du soleil et des copains était une aubaine, un moyen parfait pour gonfler mon ego de citoyenne tout en m'accordant du bon temps.

J'adorais les chants de lutte, sentir la communion entre les personnes lors des défilés. Je me déguisais avec créativité et apprenais par cœur les hymnes de rébellion. Je rentrais chez moi, la voix enrouée, un coup de soleil sur la nuque et le cœur plein d'énergie. Je venais de sentir qu'un monde meilleur était possible et que tous ensemble ferions plier les gouvernements pour un monde juste et équitable.

Chaque fois, une cause réclamait toute mon attention et ma mobilisation : la reconnaissance des diplômes, la retraite à 60 ans la lutte contre les emplois précaires, la planète verte, l'arrêt du radioactif, la sauvegarde des baleines, la réforme des écoles... J'enfilais mes tenues de combattante de la liberté et partais au front des manifestations.

Les années passant, manifester devint moins divertissant. Au contraire de mes années passées, faire grève me coûtait cher et je n'avais pas les moyens de supprimer de mon salaire un après-midi. Quand je fût à la retraite, mon dos se sentait trop vieux pour piétiner des heures durant et considérait qu'une sieste lui était préférable. Je n'étais surtout plus dupe, les gouvernements ne nous craignaient plus, nous, les gens de la rue, nous, la démocratie. Finalement, j'ai cessé de croire que le peuple puisse être écouté. Peu à peu, insidieusement, je me suis mise à soupirer des rues bloquées qui m'empêchaient de faire mon marché pour finir par m'insurger contre ses étudiants qui ne savaient plus s'arrêter de rouspéter.

Depuis trois mois, les jeunes Québécois sont dans la rue et demandent à ce que les frais de scolarité ne soient pas augmentés. Manquerait plus qu'ils fassent des études sur ma retraite! Je ne peux plus ouvrir le journal sans voir des carrés rouges et des larmes de fond. Il y a pourtant tant d'autres sujets à traiter qui m'intéresseraient davantage. Je referme le journal, contrariée.

Pourtant, assise sur mon rocking-chair, je me souviens. C'est vrai qu'à une époque, moi aussi je pensais que le monde pouvait être juste. Je rêvais à des hommes s'entraidant et se soutenant les uns les autres. J'aimais les parades, la liesse de la foule unie pour une cause. Je sentais l'humanité qui nous reliait les uns aux autres, nous rendant solidaires et heureux de l'être.

La vie m'a éloignée de mes idéaux, la réalité coupant le cordon qui la nourrissait. Un peu comme j'ai commencé à faire grève, par opportunité de passer du bon temps, j'ai arrêté, pour ne plus perdre ce temps devenu précieux.

Je rouvre le journal en me disant qu'après tout, lire et s'informer, c'est déjà une manière de lutter, par la connaissance. L'ignorance est la faiblesse de toute démocratie qui se respecte, non ? Il est peut-être temps de me sentir à nouveau concernée...

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