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Histoire d'immigration


brigit

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  • Habitués

J'ai eu envie de partager avec vous une histoire d'immigration. Elle est dédié à Nils et à sa Lettre d'un père ...

Bien que d'une autre époque, où webcam et avion n'existaient pas, elle nous parle de choses immuables. De liens du cur et de liens du sang. De courage et de détermination, de sacrifice et d'entraide, d'absence et de partage, de famille et de fidélité.

un peu long mais résumée quand même, la traduction est, j'espère, fidèle dans l'esprit.

Pour mémoire, un "quarter" que j'ai traduit par section, correspond à une section de terrain bien carrée, dessinée au cordeau par les arpenteurs gouvernementaux, peu importait la nature du terrain, pour constituer un homestead sur lequel établir une ferme.

1929, les temps sont durs en Europe. Peu de travail. Les compagnons de l'équipe de Franck, ouvrier dans la construction, parlent de partir au Canada. Franck se prend aussi à rêver, partir, avoir un bon job, économiser et faire venir sa femme et ses trois fils. Avec sa femme, il a de longues discussions. "Le Canada. Beaucoup d'emplois, une terre d'opportunité". Finalement, ils se décident. Franck partira, seul. Il prend le bateau, traverse l'Atlantique, prend le train au départ de Montréal. Pour aussi loin à l'ouest que possible.

Lorsque le train arrive à Fort Saskatchewan, il a les poches presque vides. Alors Franck laisse le train repartir, sans lui.

Il est heureux de fouler cette terre nouvelle. L'immense ciel bleu sans limite. Bien décidé à réussir, il demande immédiatement où trouver du travail. On lui indique le magasin local où les fermiers s'approvisionnent.

Le boutiquier hoche négativement la tête. Ici les fermes sont rares et étendues, mais le rendement suffit à peine à faire vivre les familles. Il y a bien Mr Thomas qui parle de creuser un fossé pour drainer un terrain. Si Franc veut attendre, il passera dans le milieu de l'après-midi pour prendre ses provisions.

Il est tôt. Franck retourne à quelques mètre près de la gare, s'installer à l'abri de l'élévateur à grain. Un vent chaud réchauffe l'air un peu vif du printemps. Il regarde alentour la plaine ondulée, sans arbre, le vaste horizon. Puis retourne au magasin, nerveux. Il ne parle que quelques mots d'anglais mais comprend presque tout ce qui se dit. Car au gré des clients qui entrent et sortent, il entend de l'allemand, du polonais. Finalement, un grand type massif passe les portes. Le boutiquier lui désigne Franck.

"Charles, tu penses que ce gars ferait un bon creuseur de fossé ?"

Charles répond en riant "Ce fossé est juste un rêve. Pour l'instant j'ai besoin d'un ouvrier pour préparer la terre avant de semer."

Franck bondit sur ses pieds à la rencontre de l'homme qui lui tend la main. Sa poignée de main est amicale et Franck se sent mieux.

"Je viens de Yougoslavie. Vous connaissez la Yougoslavie ? Pas sûre, pas d'emploi. Je suis bon travailleur. Travail sur routes, canaux. Besoin d'un fossé ? Je creuse le fossé".

Charles devient sérieux. "Je n'ai pas besoin d'un fossé pour le moment. J'ai une ferme et un troupeau. La bonne main-d'uvre est rare par ici et j'ai une récolte à préparer. Venez donc jusqu'à la ferme jeter un il. Demain nous verrons sur le travail des vaches et les chevaux, ça vous convient."

Le soir, Franck dîne à la table familiale et parle avec les deux fils de Charles. Il indique d'un geste combien ses fils sont petits. Sa famille lui manque.

Franck reste travailler pour Charles Thomas. Il a un toit et ses repas d'assurés, et quelques dollars pour la famille. Charles apprécie la persévérance de Franck et son habilité à l'ouvrage. Eté comme hiver, il y a toujours du travail dans une ferme. On se lève parfois avant l'aube, la journée est longue, à 6 heures, tous se rassemblent autour de la table familiale pour le souper. Après, on profite de la soirée en parlant longuement sous le porche. Il faudra plusieurs semaines avant que le fossé ne soit à nouveau évoqué.

"Le fossé ? Les voisins se moquent bien de moi avec cette histoire. Un marécage couvre une partie de ma section à l'ouest, l'eau l'envahi à chaque demi-saison, l'été est trop court. Il faudrait rassembler une équipe, drainer. C'est beaucoup trop d'ouvrage surtout pour un seul homme."

Franck insiste. Charles lui répond qu'il n'a pas assez d'argent. Pas d'argent pour les outils, pas d'argent pour payer une équipe. Et qu'il a besoin de lui pour la ferme.

Franck explique qu'il travaillera le soir, après le souper, plutôt que de parler. Il a besoin de l'argent pour faire venir sa famille. Charles n'aura qu'à le payer la moitié du salaire, moins s'il le veux. Charles n'y croit pas. Il faudrait beaucoup d'étés et de peine à un homme pour mener à bien cet ouvrage.

Franck persiste, la saison passe. Il parvient à faire dire à Charles combien il accepterait de payer pour le fossé. Ils conviennent d'un prix et achètent ensemble les outils. Un beau dimanche de Mai, Charles et Franck marquent le terrain et déterminent où et combien creuser. Franck commence le soir même à piocher.

Personne ne peut dire combien de coups de pioche il lui a fallu, combien de rêves et de projets l'on aidé à lever à nouveau son bras, soir après soir, été après été. Le fossé coure sur un demi mile sur le bord ouest de la section de Charles, un mile au sud, passe sous une route municipale, puis le long de la section suivante jusqu'à une petite rivière. Presque deux miles.

Le fossé terminé, Franck n'a toujours pas assez d'argent. La tempête gronde en Europe. Franck et la famille de Charles sont inquiets. Lorsque parvient la nouvelle que deux des fils de Franck, âgés de 14 et 16 ans maintenant, vont être incorporés dans l'armée, Charles et quelques fermiers rassemblent suffisamment d'argent pour assurer le voyage de la femme de Franck et de ses fils.

Ils traversent l'Europe et finalement prennent le bateau. Ce sera le dernier bateau à quitter l'Europe avec des émigrants avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Quelques jours après, la Yougoslavie s'est alignée à l'Allemagne et les fils de Franck auraient dû rejoindre l'armée allemande.

La traversée fut terrible pour la femme de Franck, victime du mal de mer. Elle fut heureuse de se retrouver enfin sur la terre ferme et d'entreprendre le long voyage vers l'ouest, pour être tous enfin réunis et rencontrer la famille Thomas. Après 10 années d'espoir, de sueur et de détermination, Franck avait enfin réalisé son rêve.

Franck et sa famille ont finalement pu acheter une ferme près de celle des Thomas.

La famille Thomas réside toujours sur sa terre, près de Josephburg. On peut y voir le fossé, qui n'a jamais servi, où poussent herbes et broussailles. La trace de la détermination et du rêve d'un homme.

Cette histoire a été écrite et racontée par Helen Lavender un soir de Mai 2002 lors d'une soirée à Josephburg. L'un des fils de Charles Thomas était présent. Il se souvient encore de l'homme courageux et déterminé, qu'il appelle toujours Oncle Franck, qui creusa un fossé sur la terre où il vit aujourd'hui avec sa famille.

Cette histoire et quelques autres ont été rassemblées dans un livre édité pour le bicentenaire de l'Alberta en 2005 : Under the wild blue sky - Alberta stories to read and tell - Red Deer Press, Calgary - 2005

B

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  • Habitués

Très très beau récit ...

Que de courage (en plus de celui qu'il faut tout de même encore aujourd'hui) il a fallu à ces gens ... pour partir et pour ... s'accrocher !

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  • Habitués

"Cette histoire et quelques autres ont été rassemblées dans un livre édité pour le bicentenaire de l'Alberta en 2005 : Under the wild blue sky - Alberta stories to read and tell - Red Deer Press, Calgary - 2005"

c'est évidemment "centenaire" et non bicentenaire.

B :rolleyes:

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