Habitués BiscuitDérable Posté(e) 15 janvier 2006 Habitués Posté(e) 15 janvier 2006 Le miroir aux alouettesDenise BombardierJournal Le Devoir, Édition du samedi 14 et du dimanche 15 janvier 2006Plus ça change, plus c'est pareil, quoi qu'en pensent les porte-voix béats de notre mutation sociale. À les écouter, les Québécois seraient les spécimens les plus affranchis de la planète. Le «né pour un petit pain» ne serait plus qu'une invention de loup-garou, la conquête de 1763, inscrite dans le traité de Paris, un événement préhistorique, et nous serions en train de devenir les spectateurs turbulents mais tout-puissants de la politique canadienne.Le Bloc québécois, le si bien nommé, incarnerait notre puissance collective alors que les élections successives du Parti québécois exprimeraient notre volonté d'en découdre avec notre histoire de vaincus. Les référendums perdus l'auraient été à cause des autres : on en veut pour preuve les plus de 60 % de Canadiens français qui ont dit OUI en 1995. Faut-il rappeler que dans les pays baltes, l'indépendance a rallié les différents peuples à hauteur de 85 % et plus après l'effondrement de l'empire soviétique ? Mais quelle importance, n'est-ce pas, puisque ce qui se passe ailleurs ne nous fait pas un pli.Nous sommes donc des gagnants, nous additionnons les victoires morales, et le Canada auquel nous appartenons toujours est un espace pour nous virtuel, immatériel et étranger, sinon étrange. Gilles Duceppe, homme politique au talent indéniable, domine de son habileté ses adversaires dans les débats électoraux avec d'autant plus de force qu'il n'en déploiera jamais la moindre à exercer le pouvoir à Ottawa. Avec ses députés, il pose de nombreuses et pertinentes questions au gouvernement, si bien qu'on peut en conclure que le Québec est devenu le champion interrogateur de la politique canadienne faite par d'autres. Cela se dit gagner sans pouvoir.Dans cette perspective, le Parti québécois subit les Québécois qui l'élisent. Il croit gouverner un pays et se fait rappeler à l'ordre par les référendums dont il prend l'initiative et qui le ramènent à sa mission provinciale. On parle alors de victoire morale, de sagesse populaire, de ratourage collectif. Le 23 janvier au soir, nous nous réjouirons de perpétuer notre protestation à travers un parti dont le fondateur, devenu lucide, annonçait une espérance de vie de deux ans et des poussières. Cela fait 15 ans que nous bloquons allégrement et rions sous cape de notre astuce.Se pourrait-il que dans notre inconscient collectif marqué par une histoire de défaites et de revers, par un long siècle d'hibernation politique, par la trahison des élites de toutes catégories et par des délinquances iconoclastes et adolescentes, le sentiment d'aliénation face au pouvoir perdure ? Se pourrait-il que nous n'aimions ni le pouvoir ni ceux qui l'exercent en général, masquant ainsi notre peur du risque et notre insécurité légendaire, si bien cernée par Yvon Deschamps le magnifique ? Est-il possible que nous soyons plus persifleurs que téméraires, plus angoissés que bons vivants, plus crâneurs qu'audacieux et plus complexés que frimeurs ?Et si nous persistions à être un peuple inquiet qui se rassure avec des accroires, ce beau et vieux mot qui signifie aussi le désir de croire, un désir souvent bafoué par la réalité qui nous entoure ? Se pourrait-il que notre statut volontaire de spectateurs indique que nous savons exactement ce que nous refusons tout en nous permettant de laisser planer le doute sur ce que nous prétendons vouloir ? Nous aimons que les gouvernements du Parti québécois se comportent en dirigeants d'un pays indépendant tout en nous mettant à l'abri du risque de l'accession à l'indépendance. Si la peur n'était pas si présente, l'obsession que nous manifestons à nous distraire, à rire à tort et à raison, à nous affirmer comme les trouble-fêtes du Canada et les festivaliers permanents de l'Amérique du Nord, cette obsession serait sans doute moins claironnée et moins vive.La lucidité et la solidarité auxquelles nous aspirons sont inaccessibles sans une acuité de conscience. Or notre tendance à nous illusionner sur nous-mêmes, à nous éblouir dans le miroir comme les alouettes, risque de nous enfermer dans un statut plus particulier qu'on ne le souhaite. Sommes-nous si distinct et si singulier comme peuple que nous pourrions changer le cours de notre histoire en refusant les leviers du pouvoir ? Ceux qui se réjouissent de l'appui massif des Québécois au Bloc québécois ne semblent pas se rendre compte de la possible relation entre cet appui à une indépendance théorique et les NON référendaires à une souveraineté, réelle celle-là. Dire non au Canada en votant pour le Bloc, dire non à un Québec indépendant, dire non au gouvernement dirigé par le Parti libéral du Québec, ne serait-ce pas refuser le pouvoir lui-même ?[email protected] Citer
Habitués alpha bet Posté(e) 16 janvier 2006 Habitués Posté(e) 16 janvier 2006 Le miroir aux alouettesDenise BombardierJournal Le Devoir, Édition du samedi 14 et du dimanche 15 janvier 2006Plus ça change, plus c'est pareil, quoi qu'en pensent les porte-voix béats de notre mutation sociale. À les écouter, les Québécois seraient les spécimens les plus affranchis de la planète. Le «né pour un petit pain» ne serait plus qu'une invention de loup-garou, la conquête de 1763, inscrite dans le traité de Paris, un événement préhistorique, et nous serions en train de devenir les spectateurs turbulents mais tout-puissants de la politique canadienne.Le Bloc québécois, le si bien nommé, incarnerait notre puissance collective alors que les élections successives du Parti québécois exprimeraient notre volonté d'en découdre avec notre histoire de vaincus. Les référendums perdus l'auraient été à cause des autres : on en veut pour preuve les plus de 60 % de Canadiens français qui ont dit OUI en 1995. Faut-il rappeler que dans les pays baltes, l'indépendance a rallié les différents peuples à hauteur de 85 % et plus après l'effondrement de l'empire soviétique ? Mais quelle importance, n'est-ce pas, puisque ce qui se passe ailleurs ne nous fait pas un pli.Nous sommes donc des gagnants, nous additionnons les victoires morales, et le Canada auquel nous appartenons toujours est un espace pour nous virtuel, immatériel et étranger, sinon étrange. Gilles Duceppe, homme politique au talent indéniable, domine de son habileté ses adversaires dans les débats électoraux avec d'autant plus de force qu'il n'en déploiera jamais la moindre à exercer le pouvoir à Ottawa. Avec ses députés, il pose de nombreuses et pertinentes questions au gouvernement, si bien qu'on peut en conclure que le Québec est devenu le champion interrogateur de la politique canadienne faite par d'autres. Cela se dit gagner sans pouvoir.Dans cette perspective, le Parti québécois subit les Québécois qui l'élisent. Il croit gouverner un pays et se fait rappeler à l'ordre par les référendums dont il prend l'initiative et qui le ramènent à sa mission provinciale. On parle alors de victoire morale, de sagesse populaire, de ratourage collectif. Le 23 janvier au soir, nous nous réjouirons de perpétuer notre protestation à travers un parti dont le fondateur, devenu lucide, annonçait une espérance de vie de deux ans et des poussières. Cela fait 15 ans que nous bloquons allégrement et rions sous cape de notre astuce.Se pourrait-il que dans notre inconscient collectif marqué par une histoire de défaites et de revers, par un long siècle d'hibernation politique, par la trahison des élites de toutes catégories et par des délinquances iconoclastes et adolescentes, le sentiment d'aliénation face au pouvoir perdure ? Se pourrait-il que nous n'aimions ni le pouvoir ni ceux qui l'exercent en général, masquant ainsi notre peur du risque et notre insécurité légendaire, si bien cernée par Yvon Deschamps le magnifique ? Est-il possible que nous soyons plus persifleurs que téméraires, plus angoissés que bons vivants, plus crâneurs qu'audacieux et plus complexés que frimeurs ?Et si nous persistions à être un peuple inquiet qui se rassure avec des accroires, ce beau et vieux mot qui signifie aussi le désir de croire, un désir souvent bafoué par la réalité qui nous entoure ? Se pourrait-il que notre statut volontaire de spectateurs indique que nous savons exactement ce que nous refusons tout en nous permettant de laisser planer le doute sur ce que nous prétendons vouloir ? Nous aimons que les gouvernements du Parti québécois se comportent en dirigeants d'un pays indépendant tout en nous mettant à l'abri du risque de l'accession à l'indépendance. Si la peur n'était pas si présente, l'obsession que nous manifestons à nous distraire, à rire à tort et à raison, à nous affirmer comme les trouble-fêtes du Canada et les festivaliers permanents de l'Amérique du Nord, cette obsession serait sans doute moins claironnée et moins vive.La lucidité et la solidarité auxquelles nous aspirons sont inaccessibles sans une acuité de conscience. Or notre tendance à nous illusionner sur nous-mêmes, à nous éblouir dans le miroir comme les alouettes, risque de nous enfermer dans un statut plus particulier qu'on ne le souhaite. Sommes-nous si distinct et si singulier comme peuple que nous pourrions changer le cours de notre histoire en refusant les leviers du pouvoir ? Ceux qui se réjouissent de l'appui massif des Québécois au Bloc québécois ne semblent pas se rendre compte de la possible relation entre cet appui à une indépendance théorique et les NON référendaires à une souveraineté, réelle celle-là. Dire non au Canada en votant pour le Bloc, dire non à un Québec indépendant, dire non au gouvernement dirigé par le Parti libéral du Québec, ne serait-ce pas refuser le pouvoir lui-même ?[email protected]pas mal Citer
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