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L’attente pour un permis de travail au Canada bat des records


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Les travailleurs étrangers attendent plus longtemps que jamais pour obtenir le permis de travail qui leur permet de vivre temporairement au Canada. Le temps de traitement s’élève même à plus d’un an dans certaines régions du monde, selon une compilation effectuée par Le Devoir. Une situation qui exaspère employés et employeurs, au point où certaines entreprises songent à lever le camp et s’installer ailleurs.

Arshad Siddiqui ne décolère pas. « C’est tellement frustrant ! Comme entrepreneur, je songe à trouver un meilleur endroit pour exploiter notre entreprise », lance le dirigeant de Paraza Pharma, une entreprise montréalaise chef de file en matière de recherche sur le traitement du sida qui emploie plus de 200 travailleurs.

À l’heure actuelle, 20 de ses futurs employés attendent des nouvelles de leur demande de permis de travail. Il s’agit tous de chercheurs de haut calibre en provenance d’Europe, d’Asie ou des États-Unis. Certains d’entre eux, originaires de l’Inde, attendent une réponse depuis la fin de 2020. « Le Canada bat des records avec ses longs délais de traitement. C’est inacceptable pour une entreprise comme la nôtre, et pour l’économie canadienne et québécoise aussi », déplore M. Siddiqui. Il estime à cinq millions de dollars par année le coût de cette attente pour son entreprise.

L’estimation du temps de traitement affichée sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) révèle l’existence d’une très grande disparité dans le traitement des demandes de permis de travail en fonction du pays où elles ont été déposées. Un problème également observé dans la délivrance des visas de visiteurs au Canada.

 

Une compilation effectuée par Le Devoir montre que l’attente habituellement infligée aux candidats des pays du golfe Persique est particulièrement longue. Le Qatar, les Émirats arabes unis, Oman, Bahreïn et le Koweït trônent au sommet de ce triste palmarès ; IRCC admet avoir pris entre 58 et 79 semaines pour traiter les demandes de permis de travail qui émanent de ces pays.

Les ressortissants d’une dizaine d’autres pays doivent aussi typiquement patienter plus de six mois avant d’obtenir le document : le Nigeria (57 semaines), le Pakistan (49), le Népal (44), l’Inde (43) et l’Iran (31), notamment.

 

Ces chiffres tiennent par ailleurs uniquement compte du temps qu’il a fallu aux agents d’IRCC pour examiner 80 % des dossiers déposés ; ils n’incluent pas le temps mis par les demandeurs pour préparer leur dossier et fournir des documents aux autorités canadiennes.

Les disparités observées entre les pays ne surprennent pas les experts. « Oui, il y a le volume. Mais généralement, ce qu’on constate dans le quotidien, c’est que quand on vient d’un pays riche et blanc, ça va plus vite », soutient l’avocat en droit de l’immigration Benjamin Brunot.

Le fédéral s’enorgueillit de traiter les demandes de visa de travail en provenance du Mexique et du Guatemala en moins de deux semaines — des estimations toutefois contestées par des acteurs du milieu. Mais, paradoxalement, une demande de visa de visiteur déposée dans ces mêmes pays requiert respectivement 11 et 12 semaines d’attente.

« C’est rendu qu’on recrute en fonction du pays où les délais de traitement sont les plus rapides, et non pas en fonction de la compétence des travailleurs », se désole Guillaume Audet, avocat en droit de l’immigration.

Des attentes « jamais vues »

Le bureau d’Abou Dhabi, la capitale des Émirats arabes unis, est particulièrement sous le feu des critiques, avec des périodes d’attente qui atteignent les « pires » niveaux.

« C’est un bureau des visas qui a toujours été un petit peu plus lent [à traiter les demandes]. Mais en ce moment, on atteint d’autres sommets. Soixante et une semaines [d’attente], c’est le pire que j’ai jamais vu », lance Léa Charbonneau-Lacroix, avocate chez Brunel Immigration. « J’ai des dossiers en ce moment qui sont traités à Abou Dhabi depuis plus d’un an, et il n’y a aucun mouvement. On a beau faire des suivis, envoyer des lettres de la part de l’employeur qui expliquent l’urgence de la situation… Dans certains cas, c’est presque la survie même de l’entreprise qui en dépend. On n’a aucun retour. »

« On a vraiment un problème avec ce bureau-là », renchérit Laurence Trempe, avocate en immigration pour le cabinet Exéo. « Quand on sait qu’on a un dossier qui va être traité par le bureau en Arabie saoudite ou aux Émirats arabes unis, on est inquiets comme avocats, car on sait que ça va dépasser un an, deux ans même. »

L’avocate se sent parfois obligée « d’être stratégique » avec ses clients, et elle leur demande d’essayer de devenir résident d’un autre pays avant de tenter leur chance au Canada. « Je leur demande de déposer une demande dans un pays d’Europe, de l’espace Schengen. Partout sauf aux Émirats arabes unis », souligne-t-elle.

Invité par Le Devoir à réagir, IRCC n’était pas en mesure d’éclaircir la situation qui prévaut au bureau d’Abou Dhabi.

Le ministère fédéral reconnaît toutefois que des retards sont enregistrés dans le traitement de tous les types de demandes, permis de travail compris. « Nous savons que plusieurs demandeurs connaissent des temps d’attente considérables pour le traitement de leur demande. Nous continuons à faire tout notre possible pour réduire les délais », a fait savoir par courriel la porte-parole Nancy Caron.

IRCC affirme notamment que le nombre de permis de travail traités entre janvier et juin 2022 a été doublé par rapport à la même période de l’année 2021.

Un « impact colossal »

Anthony Chiasson-Leblanc s’occupe du recrutement et de la gestion de travailleurs étrangers pour une centaine d’employeurs. Et il affirme que le temps de traitement affiché par IRCC ne reflète pas la réalité : « Nous avons des travailleurs du Guatemala qui viennent chaque été au Québec depuis 10 ou 15 ans, ce sont des dossiers très simples. Nous les avons déposés le 1er avril, et nous n’avons toujours rien, pour aucun d’eux. »

 

L’attente officiellement estimée pour les dossiers en provenance de ce pays — une semaine — est « de la bullshit », s’exclame-t-il. La situation nuit à ses clients, dit M. Chiasson-Leblanc. Ces derniers peinent à trouver la main-d’oeuvre nécessaire pour être rentables ou pour carrément mener à bien leurs activités. Certains doivent réduire leurs services ; d’autres songent à mettre la clé sous la porte.

 

« Ç’a un impact colossal », lance David Laperle, président d’Hydrosol Ensemencement, une firme spécialisée en génie environnemental basée à Mascouche qui fonctionne d’avril à novembre. « On est complètement désabusés, on fait rire de nous. Le gouvernement canadien dort au gaz. »

 

Son entreprise dépend de travailleurs provenant du Guatemala — qui bénéficient de bonnes conditions de travail, soutient-il —, mais aucun d’eux n’a encore eu un permis de travail, plusieurs mois après le dépôt de leur demande. Et « le recrutement [local] est impossible », dit-il. « On met des annonces à 35 $ l’heure, et personne ne postule. » Les temps de traitement d’IRCC ont donc de grandes répercussions sur la croissance de son entreprise, et l’empêchent de respecter certains de ses engagements contractuels.

 

Me Patrice Brunet, avocat spécialisé en immigration d’affaires, estime d’ailleurs que l’attente pour les visas rend les entreprises canadiennes moins compétitives à l’échelle mondiale. Mais « ça n’attire pas l’attention, parce que ces gens-là, [les travailleurs étrangers], ne font pas la queue à l’extérieur, ils ne votent pas aux élections », dit-il.

 

L’attente pour un permis de travail au Canada bat des records | Le Devoir

 

 

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