Pour l’animateur de télévision, l’accent québécois fait « débander ». En 2001, le sort qu’il fait subir à l’autrice lors de son passage à l’émission «Tout le monde en parle» a tout à voir avec le bâillonnement, témoigne l’écrivaine Martine Delvaux.
Mon souvenir est vif : une très jeune Nelly Arcan est invitée sur le plateau de Tout le monde en parle. Elle est reçue par Thierry Ardisson à qui on doit le concept « Pour faire passer Easton Ellis, Tom Wolfe ou Houellebecq, il faut des bimbos, de la lumière, de la musique ». Manière, explique l’animateur, de rendre la culture digeste au lieu qu’elle soit punitive. Ça a lieu le 29 septembre 2001, un an après le passage de Christine Angot, deux semaines après les attentats du 11 Septembre.
Nelly Arcan vient de publier son premier roman, Putain, aux éditions du Seuil. C’est l’histoire d’une escort girl, dit l’animateur. Ce n’est pas un témoignage, dit l’écrivaine, c’est de la littérature.
Il est question du sexe des hommes
Après une série de questions sur les hommes et la sexualité, après avoir bien confondu la narratrice et celle qui l’a inventée, c’est l’interview up and down pour clore le segment, on ne bouge pas pendant le gingle. L’animateur demande : «Qu’est-ce que vous avez de moins sexy ?» Entre étonnement et malaise, l’écrivaine ne sait pas quoi répondre. «Moi je sais, dit-il, mais je ne dirai pas.» Puis il quitte son podium pour venir lui chuchoter fort à l’oreille : «Il faut perdre cet accent canadien.» Un accent qu’elle doit perdre, dit-il, à l’aide de cours donnés en France, par exemple, «parce que c’est terrible, cet accent, je vous jure. On ne parle plus comme ça depuis le XVIIIe siècle».
Dans cette émission de « Tout le monde en parle » de 2001, l'animateur Thierry Ardisson a fait des commentaires dépréciatifs sur l'accent québécois de Nelly Arcan, affirmant que cet accent faisait « débander ». Ce jour-là, le concept d'Ardisson était de rendre la culture « digeste » par l'ajout de divertissements superficiels. Arcan y présentait son premier roman, Putain, qu'elle définit non comme un témoignage, mais comme une œuvre littéraire.
En mars 2024, lors d'une entrevue avec Dominic Tardif de La Presse, Ardisson a réaffirmé son aversion pour l'accent québécois, sans exprimer de regret pour ses paroles passées. Il a fait ces remarques dans le contexte de l'enregistrement du 500e épisode de la version québécoise de « Tout le monde en parle ».
La critique de l'accent de Nelly Arcan, et par extension de celui de millions de Québécoises, est perçue comme une forme de répression : une injonction à être belle et silencieuse. Cet incident souligne une attente sociale où certaines caractéristiques féminines sont marginalisées.
Peu avant sa mort, Nelly Arcan avait écrit sur le manque de justice à la télévision, un média qui, selon elle, ne reflétait pas la réalité ni l'équité.
Suite et source : Libération