Tout à l'heure je lisais un billet sur le forum. Vous l'avez sans doute vu, quelqu'un qui repartait en France après 10 années passées au Québec. Tout ce qui ressortait du message, c'était beaucoup d'amertume, de la frustration, une liste exhaustive de tout ce que cette personne en était venue à détester ici. Loin de moi l'idée de la critiquer, je compatis vraiment et je ne connais pas son histoire.
Mais cela m'a fait penser à trop d'histoires entendues, trop de cas d'amis, de proches ou d'inconnus qui, au moment d'aborder un changement dans leur vie, s'attardent sur tout ce qui les a écœurés dans ce qu'ils quittent au lieu de se réjouir de ce qui s'en vient. Pas forcément pour des projets aussi grands qu'une immigration, parfois c'est juste pour un nouveau travail, une nouvelle maison, voire même une nouvelle activité du dimanche matin. Que d'énergie perdue à se lamenter sur ce qui est passé sans aucun attrait pour ce qu'il reste à découvrir. J'aime tellement lire des messages qui disent :
" Plus que 4 jours avant mon retour en France. J'ai tellement hâte, après 6 ans ici, de revoir tous mes amis. Les vacances en Bretagne, les plages désertes et les crêperies du Finistère, les marchés emplis d'accents chantants et de fromages de chèvre quand je vais voir ma famille en Ardèche, ces chaudes soirées sur la terrasse avec le chant des cigales à jouer à la belote. Me sentir à nouveau totalement chez moi quand je marche dans la rue, rire aux blagues de mes collègues parce que je comprendrai à quoi ils font référence. Pouvoir assister à nouveau à toutes les réunions familiales qui m'ennuyaient tant avant, voir grandir mes neveux, savoir que je compte dans leur vie, que je ne suis pas l'"oncle qui habite loin". Vieillir avec les miens, retrouver toutes mes références. Je suis heureux d'avoir pu vivre tout ça, j'ai appris beaucoup sur moi et sur le fait de se sentir étranger quelque part. Je ne verrai plus les immigrés de la même façon en France, parce que maintenant je les comprends. Le soleil que je chérirai dans le sud ne sera pas le même pour un Sénégalais que celui qui l'a vu naître. Je comprends ça maintenant. Tout comme je comprends désormais l'Algérien qui fête l'Aïd en famille, qui célèbre la fin du Ramadan, brève bouffée de sa terre natale qu'il partage à Angoulême, Strasbourg, Lille avec d'autres qui, comme lui, sont venus ici offrir à leurs enfants une chance que eux n'ont pas eue. Je rentre en sachant que j'ai été au bout de mon rêve, sans regret, avec la certitude que quand je serai vieux et qu'il sera trop tard pour bouger à nouveau, je ne me dirai pas "si seulement", "j'aurais du". Mais en sachant par contre que je serai là où je souhaitais vieillir, chez moi, avec les miens."
" Je suis dans l'avion, ça y est, l'inconnu. Ce n'est pas avec deux séjours de quelques semaines qu'on peut connaître un pays, je ne sais donc pas ce qui m'attend. Mais c'est exactement pour ça que je suis là, prêt à commencer une nouvelle vie. J'ai hâte de vivre ce dépaysement, ce décalage, de pouvoir me plonger intégralement dans un pays, un continent qui m'est étranger. La Gaspésie ne sera jamais la Vendée, Vancouver n'est pas Rome et New York n'est pas Berlin. Mais ça, je le sais, je ne pars pas à 6000 kilomètres pour essayer de tout rapprocher de ce que je connais déjà, sinon j'aurais juste déménagé à 100 kilomètres de Brive. Ça me rappelle mes potes qui étaient partis s'installer en Guadeloupe, ils chialaient tous les jours sur le fait de ne pas avoir de fenêtre, que les laitages étaient chers, que les gens étaient moins souriants que quand ils étaient venus en touristes. Je ne vois pas l'intérêt de vouloir vivre sur une île aussi loin en retrouvant son confort de Paris. Quand je vivais à Marseille je mangeais des sardines sur le Vieux Port, quand j'étais étudiant à Strasbourg j'allais au marché de Noel boire du vin chaud. J'ai découvert le foie gras à Périgueux et la truffade à Clermont. C'est court une vie, on change souvent de place, autant s'attacher à ce qui est bon là où on est que de regretter ce qu'on n'y trouve plus. Je ne vais pas chercher des pistes de ski en Martinique et ne chercherais pas plus à faire de la plongée sous marine dans les Alpes. J'allais au Parc des Princes voir le PSG à Paris, quand je suis arrivé à Brive j'ai découvert le rugby. J'ai hâte d'aller voir un match de hockey, ça a l'air super. J'ai tellement hâte de plonger dans une routine, découvrir de nouvelles personnes, de nouveaux amis, apprendre à me faire accepter. Une nouvelle vie."
C'est certain que pour avoir le goût de partir, ça peut venir au départ d'un ras le bol de sa vie actuelle. C'est sûr. Pas forcément, mais c'est courant. Ceci dit au moment de construire un nouveau projet, on doit selon moi totalement se tourner vers ce qui s'en vient, ce qui reste à construire. J'ai rencontré beaucoup d'immigrants qui arrivaient ici en disant qu'ils venaient parce que c'est "plus facile de trouver du travail", "il parait que ça paye mieux", "j'en avais marre de la France". La plupart sont repartis. Parce que leurs problèmes les ont suivis, évidemment. Certains souffraient de dépression et n'ont fait qu'accentuer leur mal-être, d'autres n'avaient aucune idée de ce qu'ils voulaient faire dans la vie, d'autres enfin n'en pouvaient plus de leur vie de famille et cherchaient un moyen de sauver leur couple, en pensant qu'un changement d'air leur ferait le plus grand bien. Autant dire que leurs problèmes toujours là à leur arrivée couplés aux difficultés de l'immigration, au coût du projet et à tout ce qui peut saper le moral les premiers mois, ça a été dans la majorité des cas la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Immigrer peut aider à résoudre ses problèmes si ceux-ci étaient liés à votre vie passée, c'est certain, mais ça ne va pas effacer un problème de fond que vous traînerez avec vous où que vous alliez.