les grandes résolutions
J'avais décidé de peindre la cuisine, histoire de lui donner un coup de propre et un nouveau cachet. Je voulais une ambiance café italien avec une vraie machine à expresso. J'avais mille idées ingénieuses pour en faire un lieu de prestige et avais déjà hâte d'inviter des amis dans ce futur univers feutré. J'avais commencé à détapisser cette horreur d'imitation planches de bois, que le gras avait recouvert depuis bien longtemps.
Et puis un matin, en passant devant une vitrine, j'ai vu le prix de la machine à café. Le montant exorbitant ôta la fougue de mon projet. La cuisine resta en l'état, à moitié tapissée, à moitié nue.
J'avais décidé de me remettre au sport, pour avoir un corps de rêve dans mon maillot de bain. Je m'étais inscrite dans une grande salle de gym où tu as une serviette propre à chaque session. Je m'étais imaginée dans un petit short, courant des heures sur le tapis. Je palpais déjà mes cuisses et mes abdominaux devant la glace, en les imaginant durs et galbés.
Et puis un soir, il y avait un bon film qui jouait au cinéma. J'ai oublié de retourner à la salle. L'hiver est arrivé, avec lui le froid, la pluie, la nuit qui tombait tôt. Mon corps est resté en l'état.
J'avais décidé de jeter la moitié de ma garde-robe afin d'avoir enfin de la place dans les placards. Tous ces habits que je ne mets ni pour travailler, ni pour bricoler, ni pour le carnaval. Je m'étais dit que j'allais faire des sacs et les donner aux plus démunis. J'avais sorti les valises et commencé à ouvrir les placards.
Puis, j'ai essayé ce haut qui me seyait plutôt bien et que je devrais porter plus souvent. Après sont venus les gilets qui n'étaient pas de si mauvais goût en fin de compte. Ma valise s'est alourdie de deux vieux t-shirts et le reste est resté dans ma penderie, bien au chaud.
J'avais décidé de me présenter aux élections municipales, je trouvais que c'était enivrant. J'en avais parlé à tout le monde et commencé à faire la promotion de ma candidature. Je me forçais à bien articuler lorsque je m'adressais aux gens. Je souriais dans la rue aux passants et leur serrais la main en toutes circonstances. Je me voyais déjà dans un bureau en bois d'olivier, assise dans un fauteuil avec vue sur le parc, jouissant d'une secrétaire à tyranniser.
Puis, on me demanda d'aller à des réunions chaque semaine. Je devais aller voir des spectacles qui n'avaient rien d'attrayant et travailler le dimanche. J'ai cessé de sourire à chaque coin de rue et suis retournée à ma vie d'antan.
J'avais décidé de m'occuper de mes enfants, pour qu'ils soient fiers de leur mère. Je voulais leur raconter des histoires le soir pour qu'ils s'endorment en faisant de beaux rêves. Je m'imaginais les aider dans leurs devoirs et jouer avec eux au Monopoly. Je leur passerai la main dans les cheveux et leur dirai que je les aime. Mais les devoirs étaient difficiles et je ne voyais rien quand je lisais des histoires avec une luciole à la main. Ils n'étaient pas contents des voix que je prenais et disaient que je leur faisais peur.
J'ai repris la nurse pour qu'elle s'occupe d'eux le soir, tandis que je pouvais vaquer à d'autres préoccupations majeures.
Pour mes quarante ans, j'avais décidé de prendre de bonnes résolutions pour cette nouvelle dizaine qui s'ouvrait à moi. Le samedi est arrivé, avec une fête surprise et un gâteau d'anniversaire énorme.
J'ai fermé les yeux pour faire un vœu, décidée à donner à ma vie un tournant radical. J'ai commencé à réfléchir à ce que j'allais faire, mais le gâteau sentait bon le chocolat et mes papilles ne pouvaient attendre. J'ai vite soufflé les bougies et ai ouvert les cadeaux.
D'autres chroniques et photos de la vie au Québec sur http://lestachesdefraise.com
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